IRM

Ce matin, je me réveille à cinq heures trente parce que l'IRM est à sept heures. Tandis que Lilou fait ruisseler l'eau sur ses paupières, je prépare les oeufs comme d'habitude avec, devant les yeux, un léger voile de tendresse. Hier soir, une dispute encore à propos de rien ou à propos de tout, les signaux faibles de la rancune qui palpite, l'impossibilité de la confiance et le goût du conflit, puis les retrouvailles après avoir escaladé l'arbre infini du langage en buvant une bouteille de Madiran sur la petite table en bois de la cuisine. Une fois disparue, la noirceur semble appartenir à un passé absurde, à une profonde bêtise d'enfant, la douceur et l'apesanteur paraissent des évidences, on rit du maléfice renversé sans effort. Ce matin un voile de légèreté et de tendresse abîme mes yeux après cette courte nuit (nous avons hiberné en souriant avec l'inquiétude du lendemain lovée entre nous comme un motif supérieur de réconciliation). Je prépare les oeufs puis nous parcourons la ville à demi-morte, prenons trois métros avant de gagner la colline de la Croix-Rousse. Mon humour est naturel, sans peine ni acidité, mes paroles et mes gestes flottent dans un bain de nonchalance lucide. Je suis si fatigué que le regard des autres n'existe plus. Mon étrangeté se balade tranquillement. J'ai sur les choses un pouvoir d'endormi. Cette IRM est importante, on l'attend depuis de nombreux mois, on espère qu'elle nous apportera des réponses (hier Lilou a écrit quelque chose dans son carnet). Au milieu de la nuit du matin, du monde qui sommeille, derrière mon voile léger, mon humour parfait et l'insouciance rêveuse de ma fatigue, je trouve l'hôpital magnifique. Les allées et contrallées se déploient sur un grand plateau horizontal parsemé de lumières, de voitures et de buissons. Nos pas résonnent sous les arcades qui se succèdent, bâtiment A, bâtiment C, bâtiment E. J'adore les hôpitaux comme j'adore les gares, lieux publics et transitoires par excellence dans lesquels je me sens libre de pratiquer l'errance et l'anonymat. Dans l'hôpital au milieu de la nuit du matin, je peux relever sans honte mon visage blanc et mes cernes bleus, prendre un café dans le vent tiède, regarder les blouses, croiser des figures plus étranges que la mienne, déambuler sans rendre de compte à personne. Le temps des actes est suspendu à un fil invisible. Les corps s'enroulent confusément lorsqu'ils passent devant moi. Les mots acides que j'ai adressés à Lilou hier soir me reviennent par vagues et, alors que j'excelle dans l'attente de l'imagerie de mon amour, le soleil se lève et m'arrache l'insouciance du fantôme.

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