L'autoroute

Lorsqu'une femme le quitte, mon père vacille au volant de sa voiture.
Des lucioles mouchètent sa rétine, les lignes blanches commencent à trembler, son cœur s’accélère puis s’éteint.
Lorsqu'une femme le quitte, mon père s'évanouit sur l'autoroute.
Heureusement, il a pu ralentir et déposer son sommeil sur le bas-côté.

Après avoir retrouvé la vie dans sa petite chambre des urgences, mon père ne pense qu'à la solitude de son chien.
Peu importe la rupture, peu importe l'accident, seule la conscience de la bête orpheline lézarde la voix de mon père ressuscité.
En son absence, personne ne peut s'occuper d'un animal aussi farouche, auquel il a transmis les moindres nuances de sa nervosité. 
 
La robe du chien de mon père brille de feu et de gris, et je sais que personne ne choisit sa fourrure.
Depuis des années, cette robe réchauffe la maison en vieilles pierres nichée sur le flanc d'une montagne en forme de cratère.
Seul dans la maison, le chien attend dans l'ignorance.
Il ne sait jamais lorsque mon père rentrera mais il continue d'être, dans un temps sans périodes, le gardien de son monde.

Mon père et son chien dorment d'un œil, collés l'un à l'autre sur un petit matelas.
Leurs respirations s'accordent jusqu'à l'aube : pas de place pour une femme.
Ce que le fils sait et que le chien ne sait pas : ischémie — le maître reviendra après-demain.
Ce que le chien est le seul sur Terre à savoir : le battement caverneux du cœur de mon père dans l'étang de la nuit.

Lorsqu'un fils entend les pleurs de son père au cœur mal irrigué
« Je suis désolé, c'est juste mon chien... », il perçoit dans ce juste la pudeur des meutes et la honte des familles.
Alors j'ouvre la fenêtre de l'hôpital, distingue la montagne tout là-bas, puis joins mes paumes en fermant les yeux sur l'hiver lumineux.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire