L'appartement

Notre appartement ressemble à une sphère.

Ses trois pièces disposées en arc de cercle s'ouvrent sur l'extérieur, s'avancent ainsi vers la rivière à la façon d'une parenthèse allongée, comme si nous étions sur un promontoire permettant de parler aux poissons.


Dans la cuisine, c'est une lumière franche et chaude, méridionale, qui baigne les basilics et la vaisselle.
On s'y sent en vie, en activité, travailleurs paisibles vêtus d'une vieillesse cousue par le café, le gaz et le savon.
Les plantes sont légion : placées en haut des placards et dans les angles, elles touchent le plafond, tombent sur le frigo et l'évier.
Qu'il est agréable d'ouvrir les yeux sur une forêt d'habitudes, d'écarter leurs lianes plutôt qu'un rideau de perles.
On y reste souvent pour comploter sous le soleil.

Dans le salon, la plus grande pièce, c'est une lumière pleine d'équilibre, de rondeur mais, à partir d'une certaine heure, il s'agit d'allumer une pierre rouge à côté du miroir et de communier parmi les livres, d'écouter le bruissement du soir ou de rêver aux arabesques sur les tapis (le halo de la pierre rouge ressemble à l'haleine du corail).
Nous y côtoyons un peuple de plantes et j'aime particulièrement le kokedama, petite planète ovale en terre de ketoh tapissée de mousse et corsetée par du fil de nylon sur laquelle s'élève une tige aux fleurs rose pâle. Ses racines commencent à se sentir à l'étroit ; ce sera un crève-cœur de le rempoter, mais c'est ainsi lorsqu'on fabrique la planète des autres.
Les plantes les plus grandes penchent leurs feuilles vertes et grasses sur la table basse et sur les mains qui boivent la tisane ou le vin (je crois en leur bienveillance).

La chambre semble toujours traversée par un vent frais et une lumière bleue, irréelle, argentique.
Aucun rideau n'est suspendu à sa fenêtre mais j'en vois pourtant un qui ondule légèrement.
Une petite salle d'eau lui est contiguë (on y vient parfumer et peindre ses secrets).
La fougère qui habite le toit de la garde-robe ressemble à une sorcière échevelée. Ses pattes velues progressent à l'aveugle. Son envergure est tendre. C'est un des seuls êtres dont l'expansion me paraît innocente.

En face de l'appartement, à quelques mètres, la rivière d'amande ou de givre s'écoule.
On entend son courant tout le jour et toute la nuit, comme une bande magnétique, comme une respiration, même lorsqu'il est doux et que nos hublots sont fermés.
J'ai toujours connu cette rivière. Elle est bordée par une zone limoneuse de vignes sauvages et d'espèces amphibies. Ses eaux me disent lorsque la neige a fondu plus haut dans la vallée.
Lilou veut que je demande à la mairie d'élaguer quelques arbres afin qu'on la voie encore mieux.
J'imagine parfois que la vague de lumière bleue submergeant notre chambre provient de l'esprit de la rivière gelée, lequel s'envole en volutes et pénètre les foyers chaque hiver.
Je n'ai jamais ressenti le besoin de voyager.

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