Avoir

Avoir un petit jardin, ce n'est pas s'approprier une nature ingouvernable dans une sorte de sentimentalisme d'empereur, ce n'est pas prendre soin d'une proie fétiche dans une forme de rachat de la dette. Il s'agit en fait de projeter l’intime, de délivrer l'extérieur du mythe de la sauvagerie.

J'aime mieux la berceuse d'une vieille dame qui boit le thé dans son jardin en regardant la manière dont les fleurs se groupent que la sueur du jeune aventurier en train de se débattre dans les viscères d'une jungle. La première est touchée par le fruit et l'organisation de sa propre douceur (c'est bien la sienne), quand le second pénètre une violence dont il n'a pas l'usage.

En croyant éviter la naïveté et le confort bourgeois, certains font du monde un miroir viril. D'autres voyagent avec politesse, familiers de l'invasion, munis d'une curiosité qui ne déborde pas. J'aime les émotions clôturées et me méfie des orgueils nomades.

Laissez-moi découper un périmètre sous la plante de mes pieds et je vous laisse la fièvre à l'idée que le lointain n'appartient à personne. Je préfère le calme profond au désir brûlant et le lien ordinaire au vaste vertige. J'aime tresser des alliances avec les formes et les couleurs, au lieu de conquérir partout mon reflet. J'aime le fait que rien n'ait jamais été vierge.

Le jardin est un observatoire du changement et je refuse de lire en étranger le passage des cycles sur le corps des choses. Quelques jours seulement et les griottes tombent déjà des branches. Tomates et basilics perdurent jusqu'en novembre. La huppe fasciée vient nicher plus tôt que prévu au creux du cèdre. La joubarbe protège le toit de la foudre et convertit le carbone dans la fraîcheur de la nuit. La sève ne circule presque plus dans l'aubier de maman, mais l'herbe bleue réchauffe les fleuves sur ses mains.

J’aime les petits jardins, et non les forêts royales, dans lesquels germine un sentiment privé.

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