Croyance

C'est le soir, je ferme les yeux trente secondes et fais semblant que toute une nuit est passée, je contracte le temps sous mes paupières et déclare à Lilou qu'on est déjà le matin, alors j'ouvre grand mes bras, j'arque le bas de mon dos, je tends ma poitrine vers l'extérieur du lit, j'étire mon personnage et vais, comme chaque matin, préparer le petit déjeuner dans la cuisine, région de fumée et de mélange, d'herbes et de gestes, d’outils et d’odeurs, où les robots côtoient les céréales et les fruits ; alors je mime le matin, la musique du matin, deviens le chef de chœur endormi de la chorale de la cuisine : tintement de la casserole qui percute ses congénères malgré mes précautions lorsque je la sors du placard, peuple de bulles qui remontent grâce à la couronne de flammes bleues fouettant le métal, gargouillis de l'eau qui frémit, froufrou du filtre à café, ronflement de la machine quand son œil devient rouge, respiration lumineuse du frigo quand ses lèvres se décollent, rencontre pudique des planètes ovales après que la cuillère les a fait plonger doucement sous la surface, tout ça avec un pouvoir de seigneur somnolent qui fait crépiter le matin, qui fait parvenir le matin à Lilou, tandis qu'elle parcourt encore sous ses paupières le silence textile de la chambre — c’est précisément cet animisme de la maison dont je me sers pour l'amour et qui me permet de sentir une rondeur dans mon ventre, plus vieille que la logique, antérieure à la sexualité.

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